Gabrielle, une bouffée de fraicheur

- Papa !!

La petite fille qui vient de fêter ses trois ans a quelques mois de plus quand son absence n'a duré qu'une journée. Elle lui saute au cou, sans même lui laisser le temps de l'apercevoir, pour réclamer un baiser, lui tendant ses joues rondes et roses de petite fille. Son parfum de bébé flotte encore autour d'elle, comme une aura, alors que ses cheveux sombres remontés en couettes chatouillent le visage de son père à chaque mouvement qu'elle fait, gigotant dans mes bras. Son rire clair résonne autour d’eux, témoin de sa joie enfantine de le retrouver.

Ses grands yeux pétillent de malice et d’amour pour son père alors qu’elle s’empresse de lui raconter ce qu’il a manqué durant son absence avec ce désordre enthousiaste qui caractérise les récits d’enfants.

- Ezekiel m’a offert un petit chaton et Mikael m’a aidée à lui trouver un nom. Il s’appelle Nougat parce que j’aime bien le nougat. Viens je vais te le montrer.

Elle se met à gigoter dans ses bras pour qu’il la repose par terre avant de lui attraper la main pour l’entrainer derrière elle comme si sa seule volonté d’enfant lui donnait la force suffisante pour le trainer d’office dans son sillage.

Gabrielle... Gabrielle est mon petit ange. Non pas Angel, mais ange. Elle est plus pure que ne pourront jamais l'être les membres de l'une ou l'autre des races. Elle est mon enfant, ma première Fille, ma troisième née. La première fois que j'ai perçu son étincelle de vie, sa présence, elle venait presque d'être conçue. Elle n'était qu'un amas cellulaire de quelques jours.

Elle, était une amie chère, rencontrée dans un but précis. Lui, était un ami aussi, tout aussi précieux. Il était si sombre. Elle était si lumineuse. Mon amour de l'Équilibre m'a poussé à vouloir les mélanger. Elle l'a illuminé. Il l'a assombrie. Tout était en nuance, comme l'étrange couple qu'il formait pour moi qui savait tout de leurs vies. Ils ont été un rayon de soleil dans l'ennui de mon éternité. De précieux amis... qu'il m'a fallu faire devenir Soul pour pouvoir avoir ma Fille.

Juste avant que son cœur ne s'arrête, risquant de perdre toute vie en elle, Ezekiel a suspendu le temps autour d'eux. Nous avons tous deux combiné nos pouvoirs, sa maitrise, ma puissance, son temps, ma création, ma Vie, pour faire de cet embryon un bébé, la menant à un terme qui aurait du prendre des mois en quelques secondes.

Lorsque je l'ai prise dans mes bras, poisseuse de placenta, le cœur de sa mère a cessé de battre, j'ai du dire adieu à mes amis... jusqu'à leur prochaine vie, leur faisant la promesse que leur fille, mélange si parfait d'ombre et de lumière serait la plus heureuse des enfants... pour l'Éternité.

Aussitôt, je l'ai emmenée au Jardin. Pas en la demeure même, mais dans cette bulle temporelle qu'Ezekiel a créé pour elle, comme il l'a fait pour Mikael et Ezekiel, afin qu'elle ne reste pas ce bébé fragile trop longtemps dans ce monde si rude. Je veux qu'elle soit entourée du meilleur pour ses premières années de vie, comme les suivantes, qu'elle ne connaisse que le bonheur, à elle à qui j'ai fait le pire et le plus terrible des dons lorsque je l'ai prise dans mes bras, faisant d'elle une Guardian, comme ses Frères. Elle donnera la Mort d'un baiser, d'un Souffle. Alors, elle doit, par dessus tout, aimer la vie et ce qui la représente pour en connaitre la valeur, le poids de son pouvoir comme sa puissance.

La première semaine, sur Gaïa, donc, sa première année, je l'ai élevée seul avec Ezekiel, nous relayant pour l'entourer de toute notre attention. D'autres se plaindraient d'être ainsi enfermés loin de tout pendant cinq années comme lui le vit à chaque arrivée d'un de mes enfants. Pourtant, jamais il ne s'en est plaint. Je sais qu'il prend cela comme une punition mais l'accueille avec soulagement, lui permettant de se couper de tout ce qui peut le hanter à l'extérieur.

La seconde semaine, Mikael est venu se joindre à nous, découvrir cette enfant inconnue que je lui présente comme sa petite sœur, le nouveau trésor à chérir en son cœur. Il a déjà vécu cette période avec son frère, il y a maintenant 150 ans. Il a fini par rester la troisième. A vrai dire, j'ai presque du le chasser pour qu'il ne reste pas pour la dernière semaine en immersion auprès de cette petite lueur vive et aimante, autant qu'elle est aimée.

Sa cinquième semaine et année, dernière à passer en ce microcosme, sera la seule durant laquelle je ne serai pas présent constamment pourtant. Uriel va venir, nous rejoindre, me "remplacer". Il doit prendre du temps pour réfléchir, comme pour se rapprocher de sa sœur. Aussi lui ai-je imposé cette année loin de tout, surtout d'elle, afin de lui laisser le temps de poser son esprit. J'embrasse à regret ma si jolie petite Fille avec le coeur saignant déjà de la laisser, même si je sais que ce ne sera pas pour longtemps.

Elle s'échappe déjà de mes bras après m'avoir planté un gros baiser sur la joue pour filer en direction de ce frère dont on lui a tant parlé, qu'elle ne connait pas encore, qui apparait auprès d'Ezekiel dans la bulle temporelle, pour lui sauter littéralement au cou, se suspendant à celui-ci comme un petit singe sur sa branche avec un cri de joie, sous le regard attendri de l'Angel, seul à rester là avec le frère et la sœur.