Diamond, une étoile donne l'illusion de briller...

Les ampoules à nu tout autour du miroir éclairent mon visage d’une lumière vive. Avec des gestes sûrs, la maquilleuse me prépare pour le concert. Elle répartit savamment le fond de teint sur mon visage aux traits réguliers. Elle aimerait en mettre davantage mais je l’interromps avant de ressembler à un pot de peinture.

- Les gens sont loin quand tu es sur scène Diamond. Ton maquillage doit être bien fait si tu veux qu’ils le voient.
- Justement, je ne veux pas qu’ils le voient. Je veux que ça reste discret.
- Comme tu veux…

La jeune femme soupire et sort ses pinceaux pour s’occuper de mes yeux sombres. Là encore, je l’arrête avant d’avoir plus de fard doré que de paupière. Je veux bien insister sur l’eyeliner et le mascara pour en souligner les contours et accentuer la profondeur de mon regard mais il y a des limites. Je refuse d’être de ces filles qui se cachent sous leurs artifices. C’est à cet instant que mon manager entre dans ma loge pour me souhaiter bonne chance. Il remarque la tension qui règne dans la pièce et s’inquiète de la situation.

- Qu’est-ce qui se passe ?
- Elle veut être discrète !
- Allons mon chou, tu sais très bien que tu ne seras jamais discrète. Tu es Diamond ! Tu brilles sous les feux des projecteurs. Jamais tu ne passeras inaperçue.

Je ne relève pas la remarque et je me lève de mon siège pour leur faire face. Perchée sur mes talons aiguilles d’une bonne dizaine de centimètres, je dépasse Lila, la maquilleuse d’une bonne tête et elle a comme un mouvement de recul en voyant l’expression figée de mon visage.

- J’aimerais finir de me préparer maintenant si ça ne vous embête pas.

Mon ton est neutre, sans animosité. Pourtant tous deux savent qu’il vaut mieux ne pas discuter avec moi dans ces moments-là car je peux me montrer plus têtue qu’une mule. Ils s’éclipsent donc sans demander leur reste. On ne contrarie pas une star avant son entrée en scène… combien de fois ai-je entendu mon manager la prononcer cette phrase ? Une fois seule avec moi-même dans cette loge trop éclairée, je me tourne à nouveau vers le miroir. Entièrement vêtue de noir et or, on pourrait se demander si je compte battre des records sur la quantité de tissu utilisée. Ou plutôt sur l’absence de tissu à vrai dire… il parait que le look bad-girl sexy ça fait vendre. En tous cas c’est ce que dit James, mon manager…

Je soupire et fouille dans mon sac à main pour en sortir une petite boite en métal argenté. À première vue on pourrait la confondre avec un étui à cigarettes mais le contenu en est tout autre. Sur scène il faudra que je sois souriante et le contenu de cette petite boite va m’y aider…

Avec précautions, j’ouvre l’étui en acier, découvrant un petit sachet de poudre blanche, une paille et une petite plaque métallique elle aussi. Prenant mon temps, je verse un peu de poudre à même la table puis je me sers de la petite plaque métallique pour transformer le petit tas que j’ai formé en une ligne régulière. Lorsque tout est prêt, je m’empare de la paille dont je place une extrémité à l’entrée de ma narine droite tandis que je me penche vers la table. D’une inspiration précise et parfaitement contrôlée, j’inhale cette illusion de bonheur. Je me frotte le nez en reniflant et renverse la tête en arrière. Déjà je commence à ressentir les premiers effets.

Mon esprit semble soudain submergé par une vague d’euphorie. Je me sens capable de tout affronter. Je pourrais rester sur scène jusqu’au bout de la nuit, j’en suis certaine. Elle est loin la petite Yoo Mi, timide chanteuse qui manquait de faire pipi dans sa culotte à chaque fois qu’il s’agissait de se présenter devant un public. Aujourd’hui Diamond a pris sa place. Diamond, la star la plus populaire de sa génération.

Il m’arrive quelques fois dans un élan de nostalgie de repenser à mes débuts. À l’époque, je chantais en amatrice dans des petits bars branchés. Puis un jour James m’a remarquée et m’a proposé de me présenter des gens pour enregistrer un disque. Ensuite tout s’est enchainé. Le succès, les premières scènes, la presse, l’argent… combien de petites filles aujourd’hui rêvent d’être à ma place ? Combien d’hommes rêvent de m’avoir dans leur lit ? Où que j’aille, je suis adulée. Les gens se retournent sur mon passage dans la rue ou m’arrêtent pour me demander des autographes. Pour les uns je suis un modèle, pour les autres je suis un fantasme mais quoi qu’il arrive je n’en laisse aucun indifférent. Et pourtant…

Revigorée par la drogue qui s’insinue lentement dans mon organisme, j’affiche un large sourire en sortant de ma loge. Mon manager m’attend à la sortie et dès qu’il me voit, il m’emboite le pas dans le couloir pour m’encourager.

- Tu as fait salle comble. Ils t’attendent et ils sont déchainés.
- Ils sont toujours déchainés…

Les couloirs des coulisses sont étroits et James est obligé de progresser en crabe pour rester à ma hauteur. Mon pas est si dynamique qu’il a un peu de mal à me suivre mais ça ne l’empêche pas de rétorquer.

- C’est parce qu’ils t’aiment Diamond !
- C’est ça ils m’aiment…

Mon manager s’arrête au pied de l’escalier qui me conduit à la scène. Je n’ai pas besoin de le regarder pour deviner le regard interloqué qu’il me lance. Personne ne m’en a jamais parlé mais j’ai surpris des conversations çà et là ces derniers temps. Ils sont plusieurs dans l’équipe à trouver que j’ai un comportement étrange. Certains commencent à se poser des questions mais personne n’ose rien me dire ou me demander. Parce que je suis Diamond et qu’il ne faut pas contrarier la star.

D’un pas sûr, je m’avance sur scène tandis qu’un assistant me tend ma guitare dont je passe la sangle à l’épaule. Derrière moi, les musiciens sont prêts et n’attendent que mon signal pour entamer les premières notes. Depuis la salle plongée dans le noir total à mes pieds, mes fans hurlent d’impatience et d’exaltation. C’est un comble d’être aussi entourée et de se sentir si seule à la fois. C’est bien ce que je ressens à chaque instant depuis quelques temps maintenant. Une profonde solitude. Pour tout le monde, je suis Diamond, la grande star à la vie idyllique que tout le monde envie. Mais personne ne se rend compte que parfois, Diamond aimerait bien redevenir un peu Yoo Mi. Rien qu’un instant, je voudrais qu’on m’aime pour ce que je suis et non pour cette image que le succès renvoie de moi. Seule la cocaïne me donne encore la force de faire bonne figure devant mon public. Mon public qui m’attend à cet instant.

Alors je ne le fais pas languir plus longtemps et mes doigts s’abattent sur les cordes pour jouer le premier accord, déclenchant l’allumage les projecteurs en même temps que les hurlements de la foule. Le concert commence…