Yoon Eun Hye

Aujourd’hui, la maitresse nous a demandé de dessiner nos parents. Moi j’ai que ma maman mais c’est pas grave parce que comme ma maman c’est la plus belle, mon dessin ce sera le plus beau aussi. Y en a qui disent que ma maman on dirait un garçon à cause qu’elle a les cheveux courts mais moi je trouve que c’est pas vrai. Elle est pas obligée de mettre tout le temps une robe pour être une fille. Et puis elle sent bon et c’est que les filles qui sentent bon.

Je mets plein de couleurs sur mon dessin parce que je sais que maman elle aime bien ça. Elle aussi met plein de couleurs quand elle dessine. Mais elle est plus forte que moi, ses dessins sont plus jolis même si elle dit que c’est pas vrai et qu’elle accroche toujours les miens sur le frigo dans notre cuisine. Même que c’est son travail. Moi aussi quand je serai grand, je ferai des dessins comme ma maman.

Sur mon dessin, je lui fais un grand sourire à ma maman. Parce qu’elle me fait toujours des sourires et des câlins quand elle s’occupe de moi. Mais les câlins c’est difficile à dessiner. Des fois, ma maman elle pleure aussi quand je vais à l’hôpital. Même si elle croit que je la vois pas, je sais qu’elle est triste quand je me casse ou qu’il faut qu’on me donne des médicaments. Mais moi je suis pas triste parce que je sais que j’ai de la chance parce que j’ai la plus gentille des mamans du monde et même de l’univers !

Je suis debout près de la porte dans la salle d’attente de l’hôpital. Les yeux rougis d’avoir pleuré, le visage fatigué, tendu, je me ronge les ongles en guettant l’arrivée de Julian par les portes vitrées. J’ai essayé de m’assoir pour patienter mais je ne tiens pas en place. Pourvu qu’il arrive vite ! Ça y est, je l’aperçois au bout de l’allée. Il devait être dans le coin car il ne s’est écoulé que quelques minutes depuis mon coup de fil. En un instant, il est près de moi et pose ses mains sur mes épaules pour me faire face et se pencher vers moi.

- C'est Rafael ? Qu'est-ce qui est arrivé ?

Les larmes montent à nouveau tandis que je pose mes mains sur son torse comme pour m’accrocher à une bouée de sauvetage. Les mots sortent de ma bouche si rapidement que je n’ai pas vraiment le temps de les ordonner correctement.

- Il est tombé. Ils ont appelé les services sociaux. Ils disent qu’il y a d’autres fractures. Ils pensent que je le bats. Tu sais que je ne pourrais pas lui faire de mal. Je ne savais pas qui appeler.

Il serre ses bras autour de moi pour m’amener contre lui dans un cocon réconfortant et me caresse doucement le dos pour me calmer.

- Chut... calme-toi... On va leur expliquer, je peux servir de témoin, je passe beaucoup de temps avec le petit et toi, je sais à quel point tu l'aimes.

Je relève la tête vers lui en reniflant. Je savais que je pouvais compter sur lui. Il a toujours été là pour Rafael et moi. À sa naissance, il m’avait même proposé de le reconnaitre comme son fils pour m’aider. Mais j’avais refusé son offre. Il avait déjà fait tellement pour moi, je ne voulais pas lui imposer cette paternité même si je sais qu’il l’aurait fait de bon cœur.

- Ils ne veulent même pas me laisser le voir. Il est tout seul.
- Tu veux que j'essaie ? Que j'aille les voir ?

Je pose sur lui un regard plein d’espoir.

- Tu crois que ça peut marcher ?

Il me sourit doucement et je m’apaise un peu.

- Tu as confiance en moi ?

Je hoche la tête, m’écartant de lui pour le laisser aller négocier avec les médecins et les services sociaux. Oui j’ai confiance en lui. Il a toujours été d’une aide précieuse, m’accueillant même dans sa famille après mon accouchement pour me permettre de me reposer. C’est lui aussi qui m’avait trouvé cet emploi d’illustratrice dans cette maison d’édition. Seule, je n’aurais jamais pu espérer une telle opportunité. Ainsi je peux travailler à domicile et être disponible pour mon fils tout en exerçant ma passion. Qu’aurais-je pu rêver de mieux ?

Avant de partir, il va me prendre un café et quelque chose à grignoter dans les distributeurs mis à la disposition des patients et des visiteurs. Il me les tend dans un geste bienveillant et je les accepte volontiers.

- Repose-toi... Je reviens te voir dès que j'en sais plus, d'accord ?

Je m’assois dans un fauteuil libre de la salle d’attente et je tente de sourire pour lui répondre.

- D’accord.

Malgré l’inquiétude qui me noue le ventre, je m’efforce de boire le café et de manger quelques bouchées des biscuits qu’il m’a donnés. J’ai l’impression que tout mon monde s’écroule autour de moi. Que vais-je devenir sans mon fils ? Et lui que va-t-il devenir ? Il doit être terrorisé sans moi. C’est vrai que ce n’est pas tous les jours facile de l’élever seule, mais je fais de mon mieux et je crois que je ne suis pas une si mauvaise mère.

Il me semble que ça fait une éternité qu’il est parti lorsque je le vois enfin réapparaitre avec un petit sourire. Il a à peine le temps de me faire signe de le suivre que je me suis déjà levée d’un bond pour venir le rejoindre, attendant avec angoisse de savoir ce qu’il en est. Il me conduit jusqu’à la chambre de mon fils et lorsque je vois Rafael qui tend ses petits bras vers moi, je ne peux contenir ma joie. Je me précipite vers lui pour l’entourer de toute mon affection et le couvrir de baisers.

- Ça va aller mon bébé, Maman est là.

Je me tourne alors vers Julian, le visage soudain transformé, rayonnant.

- Comment tu as fait ? Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
- Les médecins ont admis qu'ils avaient peut-être fait appel trop vite aux services sociaux...

Il baisse alors le regard, plus sérieux tout à coup, plus sombre.

- Eun Hye ... ils vont lui faire passer des examens... pour ses fractures... ils disent que ce n'est pas normal, avec le témoignage que j'ai fourni, qu'il en ait autant.

Je perds mon sourire, serrant mon fils contre moi dans une attitude protectrice. Je sens l’angoisse obscurcir mon jugement, j’imagine le pire.

- Tu penses que c’est grave ?

Il lève les yeux vers moi et s’approche pour venir caresser les cheveux de Rafael qui le regarde avec plein de confiance dans les yeux. Il faut dire que depuis qu’il est né, Julian a toujours été près de nous. Il est un peu comme un oncle très proche pour mon fils.

- Ça peut l'être...

L’attente est interminable. Il me semble qu’on m’arrache le cœur à chaque fois que l’on vient chercher mon enfant pour l’emmener passer tel ou tel examen. Les heures passent et l’inquiétude me rend folle. Mais par-dessus tout, je ne supporte pas de voir mon fils souffrir. Je donnerais tout ce que j’ai et plus encore pour pouvoir le soulager ne serait-ce qu’un instant, supporter sa douleur à sa place. Enfin, après ce qui m’a paru une éternité, un médecin vient se présenter à nous. Rafael s’est endormi dans mes bras et c’est à contre cœur que je l’abandonne dans son lit pour m’éloigner un peu et que nous puissions parler sans le réveiller. L’homme est embarrassé, il a la tête des mauvaises nouvelles et c’est avec l’angoisse qui me noue la gorge que je parviens à demander.

- Vous savez ce qu’il a ?

Il met quelques instants à répondre, comme s’il cherchait ses mots où qu’il ne savait pas comment aborder le sujet.

- Madame… Votre fils souffre d’ostéogénèse imparfaite.

Je tourne un bref regard à la fois interrogatif et inquiet vers Julian avant de le reposer sur le médecin.

- Ostéo quoi ?

Julian a passé un bras autour de mes épaules pour me rappeler sa présence, son soutien tandis qu’il garde son attention fixée sur le médecin en dehors de quelques regards en direction de Rafael qui dort paisiblement.

- C’est ce qu’on appelle la maladie des os de verre. C’est une maladie génétique rare qui explique ses multiples fractures.

Je n’aime pas la façon dont il m’annonce ça. Je lève la main pour la poser sur celle de Julian sur mon épaule comme pour me donner du courage. Je demande sans vraiment trop y croire.

- Et ça se soigne comment ?

L’homme secoue la tête, impuissant.

- Ça ne se soigne pas. Il n’existe que des traitements qui permettront d’améliorer sa qualité de vie, mais pas de le guérir. Je suis désolé…

Ça ne se soigne pas… ça ne se soigne pas… les mots tournent dans ma tête comme une litanie morbide. Mes mains tremblent et il me semble que mes jambes se transforment peu à peu en coton avant de céder sous mon poids tandis que je m’effondre sur moi-même, littéralement abattue par la nouvelle. Julian me retient avant que je ne tombe tout à fait. Il me serre alors contre lui, me caressant les cheveux comme pour réconforter un enfant.

- Eun Hye... ça va aller... je sais que c'est difficile à croire, mais ça va aller...

Je me laisse aller à sangloter dans les bras de mon ami. Je ne peux m’empêcher de me sentir coupable de la maladie de mon fils. Le médecin a dit que c’était génétique. Ça veut dire que c’est de ma faute. C’est moi qui lui ai donné cette maladie. À cet instant, il me semble que le sol s’ouvre sous mes pieds pour m’avaler. J’ai l’impression que je ne parviendrais jamais à remonter, je suis désespérée.

- Il est si petit, si fragile. Qu’est-ce qu’on va devenir ?

Julian me berce doucement contre lui. Sa présence m’apaise et parvient à m’apporter un peu de réconfort.

- Vous n'êtes pas seuls... Vous ne le serez jamais, tu le sais ça n'est-ce pas ?

Je hoche doucement la tête avant de m’écarter de lui pour sécher mes larmes.

- Oui, tu as raison… Je dois rester forte pour lui.

Alors je me dégage tout à fait des bras de Julian pour retourner vers le lit au bord duquel je m’assois, caressant doucement le front de mon fils. Mon enfant plus fragile que jamais dans cet hôpital. Bien que je ne mesure pas encore vraiment à quel point, je sais que notre vie va changer. Mais je sais aussi que je ferai tout pour le protéger et lui éviter le plus de souffrances possibles. Après tout c’est ce que doit faire une mère…