Lucie, a new hope...

Ça fait un an aujourd’hui. Un an que je n’ai rien pris, rien fumé, rien sniffé, rien injecté dans mes veines. Pourtant l’envie est toujours là. Il ne se passe pas un instant sans que j’y pense. Mon corps n’a plus besoin d’héroïne depuis longtemps mais mon esprit lui continue de me la réclamer inlassablement. Chaque matin quand je me lève, commence une nouvelle bataille et chaque soir représente une petite victoire, quand je me couche sans avoir rien consommé. Vik pense que je suis forte, que je pourrai surmonter ça toute ma vie. Mais je sais que c’est faux. Je sais que je suis faible, qu’il suffit d’un grain de sable dans les rouages de mon quotidien pour que je lâche prise, pour que ma volonté m’abandonne, pour que je replonge.

Ce grain de sable il est là dans ma main. C’est ce papier, cette lettre du laboratoire que mon médecin vient de me donner, de m’expliquer avec des mots désolés. Tout ça pour rien. Toute cette souffrance, tous ces sacrifices, pour rien. Dans ma poche, ma main se resserre autour du petit sachet de plastique. J’ai décroché depuis un an mais je n’ai eu aucun mal à renouer avec mes anciens contacts, à retrouver de la poudre. Ils ont trouvé que j’avais changé, que j’avais meilleure mine, que j’étais presque jolie. Ils ont raison je crois. J’ai même commencé à reprendre du poids depuis quelques temps. Mais à quoi bon maintenant ?

En rentrent chez moi, dans ce petit studio que Vik m’avait trouvé à ma sortie de cure, je vais directement à la cuisine. Je n’ai même pas besoin de réfléchir, les gestes reviennent tous seuls. À croire que préparer sa dose, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Pourtant, une fois installée dans mon canapé, alors que la seringue entre les dents je m’apprête à nouer le garrot autour de mon bras, j’hésite. Je repose la seringue pour prendre mon téléphone et composer le numéro de mon seul ami, mon seul soutien. Lorsqu’il décroche, c’est d’une voix angoissée que je prononce son nom.

- Vik ?
- Lucie ? Qu’est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tu m'appelles avec cette voix si... inquiète... ?
- Vik ça va pas. Il faut que tu viennes.
- T'es où ? Chez toi ?

J’entends à sa voix qu’il est inquiet. Je me sens soudain coupable, je me sens nulle. Je me mets à pleurer.

- Oui, je… Vik, je suis retournée voir mon dealer, je… C’est trop difficile. Viens, je t’en supplie.
- Tu as quoi... ? Bouge pas, j'arrive ! Ne le prends surtout pas, je t'en prie !

Je raccroche le téléphone. Je l’ai déçu je le sais. C’est ce que je suis pour tout le monde, une déception. Même moi, je me déçois. Je ne comprends pas pourquoi Vik continue de croire en moi. Je ne serai jamais cette femme forte qu’il pense que je peux être.

Assise sur mon canapé, les genoux ramenés contre ma poitrine, je regarde fixement la seringue d’héro posée sur la table. Il n’y a pas un bruit dans l’appartement. Même les voisins sont silencieux. Ils doivent être au travail à cette heure. Moi j’avais pris une journée de congé pour mon rendez-vous. Seul le tic-tac régulier de l’horloge au mur vient rompre le silence, résonnant dans mon esprit alors que je suis incapable de penser à autre chose qu’à cette seringue sur la table. Sans m’en rendre compte, je me balance doucement au rythme des secondes qui s’égrainent. Pourquoi est-ce qu’il met si longtemps. Et s’il ne venait pas, si il avait renoncé en constatant à quel point j’étais faible. Oui, ce doit être ça. C’est pour ça qu’il n’arrive pas. Il ne viendra pas. Il a dit ça pour se débarrasser de moi mais il ne viendra pas. Il est comme les autres. Il a enfin compris ce que j’étais une moins que rien et il m’abandonne.

Brusquement, je déplie mes jambes pour me pencher vers la table et attraper la seringue dans un geste précipité. Je remonte la manche de mon pull et sans aucune hésitation, je serre le garrot sur mon bras, juste au-dessus du coude. Je n’ai même pas besoin de chercher, je me souviens exactement de l’emplacement de cette veine que j’ai si souvent piquée. Je ressens à peine un petit pincement quand l’aiguille pénètre ma chair. Lentement mon pouce appuie sur le piston pour libérer le produit dans mes veines tandis que je renverse la tête en arrière avec soulagement. C’est à l’instant précis où la dernière goutte d’héroïne se mélange à mon sang, alors que je n’ai même pas encore lâché la seringue, que la porte de mon appartement s’ouvre à la volée.

- Lucie, non !

Il se précipite vers moi pour enlever la seringue de mon bras et constater qu’il arrive trop tard.

- Je t'ai dit que j'arrivais ! Je t'ai dit de ne pas le faire ! Pourquoi ?!

Je redresse la tête pour le regarder avec un sourire béat que mes larmes viennent contredire. Je suis partagée entre le soulagement, la sensation de bien-être que m’apporte l’héroïne et cette culpabilité que je ressens en voyant la déception dans son regard. Il est venu quand même et je n’ai pas été capable de l’attendre.

- Je croyais que tu ne viendrais pas…
- Idiote, tu sais pourtant que je viens toujours...

Il me prend dans ses bras pour me bercer contre lui. Je me sens si mal tout à coup. Je ne comprends pas. L’héro devrait m’aider à me sentir mieux, à m’apaiser et au lieu de ça, c’est l’inverse que je ressens. Je me sens oppressée par cette culpabilité. Il a toujours été le seul à m’aider, il a toujours été là quand j’en avais besoin, il est resté même quand je l’ai envoyé balader. Et moi j’ai douté de lui. J’ai été faible, je me suis laissée emporter et en quelques secondes, j’ai ruiné un an d’efforts. Je sanglote doucement.

- Je suis désolée, Vik. Je suis tellement désolée.

Il continue de me bercer et je sens sa main qui me caresse doucement les cheveux.

- Shh... tu n'as pas à t'excuser Lucie... j'ai été trop long... Désolé... Mais pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi as-tu replongé alors que tu étais si loin de ce cauchemar ?

Il ne m’en veut pas. Comment peut-il ne pas m’en vouloir alors que moi-même je me dégoûte tellement. J’ai envie de dormir, de m’abandonner dans l’oubli du sommeil qui me semble si attirant. Je m’allonge doucement sur le canapé pour poser ma tête sur ses genoux en position fœtale.

- C’était trop dur…
- Ça fait déjà un an Lucie... Que s'est-il passé pour que tu ne sombres de nouveau ?

Mon esprit se focalise sur sa main qui caresse mes cheveux. C’est doux, rassurant. Mes paupières s’alourdissent peu à peu tandis que je me sens sombrer. Pourtant, avant de m’endormir, je glisse ma main dans ma poche pour en sortir la lettre du laboratoire que le médecin m’a donnée et je lui tends cette boule de papier froissé avant de murmurer.

- Un an pour rien…