Severielle, demon au visage d'ange...

L’ambition. Elle sert de moteur pour avancer. J’en ai, je ne vais pas le nier. Mais j’ai le réalisme de la maintenir dans une juste mesure. Je ne cherche pas à me faire un nom parmi les Demons, ni à faire valoir celui de mon père pour profiter de son mérite. Non, ma place parmi les meilleurs je compte bien la gagner par mes seules compétences. Je sais que je figure parmi les plus doués de ma génération. Mais je n’en tire aucune gloire personnelle. Je suis douée certes, je n’ai jamais échoué à aucune de mes missions. Mais c’est un but aisé à atteindre lorsqu’on a été formée par un Demon comme mon père et que l’on jouit qui plus est des expériences passées de ses pairs. Je n’ai jamais connu l’échec mais je connais ceux de mes collègues, je les ai en mémoire et j’en ai tiré les leçons qui me mènent aujourd’hui à la réussite. Ce n’est pas de l’orgueil, c’est un état de fait et je ne cherche pas à faire étalage de mes capacités. Bien au contraire, je préfère rester discrète et plutôt que de passer mon temps libre à me pavaner sur chronos, je le mets à profit pour étudier les Humans sur Gaïa. Je n’ai qu’un seul objectif, faire la fierté de mon père. Et en dépit de mes facilités, j’ai encore beaucoup à apprendre pour arriver à son niveau.

Beaucoup s’étonnent de voir une jeune Demon comme moi se comporter ainsi en bourreau du travail. C’est vrai, je suis jolie et plutôt bien faite, il me serait facile de mettre mes atouts en valeur pour profiter de la condition et du statut social d’un Demon aisément séduit. Mais alors il n’y aurait aucun défi, aucune ambition à satisfaire. Sans compter que je ne suis pas certaine que mon père apprécierait de me voir ainsi user de mes charmes…

Son cœur s’est arrêté lorsque ma main, passée au travers de son thorax, s’est refermée dessus. Une mort rapide, dans son sommeil. Il n’a pas eu le temps de s’en rendre compte. À peine vingt-quatre heures après avoir fait don de la moitié de sa fortune à l’orphelinat d'Ouranos. C’est triste qu’il n’ait pu profiter de la reconnaissance que lui aurait value son geste. Mais pour moi, ça n’a pas d’importance, mission accomplie. C’était presque trop facile, je n’ai quasiment rien eu à faire. Je n’aime pas ces missions qui ne représentent aucun défi. Je m’y ennuie et je n’ai rien à y apprendre. Il ne me reste plus qu’à rentrer sur Chronos pour faire mon rapport au conseil.

Je suis heureuse de constater que mon père a pu se libérer pour être présent lorsque je me présente devant le conseil. Avoir leur approbation, je m’en fiche. Avoir celle de mon père en revanche a davantage d’importance à mes yeux. Car c’est pour le rendre fier de moi que je mets tant d’acharnement à devenir la meilleure. Durant toute la durée de mon exposé, je sais qu’il m’observe avec attention, avec un regard plus acéré encore que celui qu’il porterait sur n’importe quel autre Demon. Mais en dépit de sa sévérité, lorsque j’ai terminé mon rapport, je peux le voir hocher la tête avec approbation, ajoutant un léger sourire à la réaction positive de ses condisciples. Je peux sentir toute la fierté que je lui procure et ce sentiment seul suffit à me valoriser. Mais ma joie est de courte durée et elle s’estompe aussitôt lorsque l’un des Demons face à moi se fait le porte-parole des autres.

- Tu nous as toujours donné entière satisfaction Severielle. Et ce depuis ton plus jeune âge. Pour te récompenser de ton efficacité, nous avons décidé de t’accorder quelques vacances qui j’en suis sûr seront bienvenues.

Des vacances ? En récompense ? Ne serait-ce pas plutôt une punition ? Je ne serais jamais assez reconnaissante envers mon père de m’avoir appris à contrôler mes émotions. Sans ça je n’aurais sans doute pas pu empêcher mon visage de se décomposer à l’annonce de cette « bonne » nouvelle. Mais je parviens à faire bonne figure et à remercier le conseil avant de me retirer. Ce n’est qu’une fois dans le couloir que je me laisse aller contre le mur, glissant doucement jusqu’à m’accroupir, les bras ballants. Des vacances ! Mais que vais-je donc pouvoir en faire ?

Je ne reste pas seule bien longtemps car mon père ne tarde pas à me rejoindre pour poser sa main sur mon épaule, la serrant doucement dans un geste affectueux. Je lève la tête vers lui pour chercher son regard. Je crois que je ne lui ai jamais demandé de faveur mais là, j’ai bien envie de faire une exception.

- Pourquoi tu les as laissés faire ça ?
- Parce qu'ils voulaient te récompenser ...

Il soupire tandis que son regard exprime sa compréhension.il laisse alors glisser sa main sur le haut de mon front.

- Ça ressemble davantage à une punition qu'à une récompense...
- Je sais ma chérie, je sais... Pour eux c'en est une de récompense, afin que tu puisses te... reposer ?

Me reposer… Je n’ai pas besoin de me reposer. Pourtant, une expression résignée sur le visage, je finis par me redresser pour reprendre ma progression dans le couloir et quitter ces lieux en compagnie de mon père. Me reposer… je crois bien que j’ai même oublié ce que ce mot signifiait… pour moi qui n’oublie jamais rien, c’est un comble…